« Aux premiers beaux jours, le bidonville devenait comme un
village. Quand le printemps revenait, la boue commençait à sécher. Le dimanche il y avait des bals, les familles se retrouvaient. Il flottait dans l’air un parfum de nostalgie encore toute
fraîche. Mais au printemps 68, vers la mi-mai, l’air devint soudain irrespirable. L’atmosphère s’empoisonna des rumeurs les plus folles et des peurs les plus irrationnelles.
Nos parents étaient venus en
France pour sortir de la pauvreté. Ils avaient jeté toute leur force dans la bataille pour une vie meilleure, et la révolte de Mai risquait de tout saboter. Ils ont subi les événements dans la
peur d’être renvoyés, de retourner à la misère
qu’ils avaient quittée. Mai 68 ne fut pour eux qu’une période de trouble, de désordres et de dangers. En pleine grève générale, des dizaines d’habitants du bidonville sont partis se réfugier dans leur village au
Portugal…"
Lorsque se déclenchent les événements de mai 68, l’immigration
portugaise commence à peine à s’installer en France. La plus grande vague migratoire que la France ait jamais connue s’est amorcée en 1963. En 1968, il y a 300 000 Portugais en France. Mai 68
va les surprendre dans les années
provisoires, quand ils ne pensent qu’à économiser pour construire la
maison au pays. Ils étaient alors plongés, pieds et poings liés, dans le tout
retour.
Les événements de mai 68 seront un véritable choc pour les
Portugais fraîchement débarqués. D'origine paysanne et trop souvent analphabètes, ils sont nés et ont grandi sous l’oppression de Salazar. Au Portugal, la grève était considérée comme un crime,
la délation était un système et l'anticommunisme relevait de la cause nationale. Cette immigration va donc être déroutée par un mouvement d’émancipation qui lui fait peur et qui contrarie ses
projets. Paniqués à l'idée qu'une guerre civile éclate et que les communistes prennent le pouvoir, des milliers de Portugais iront jusqu’à plier bagages et retourner au Portugal. A l’inverse,
pour les opposants à Salazar qui vivaient en France, Mai 68 sera une formidable opportunité dans leur lutte contre la dictature et pour l’éveil de leurs compatriotes à la
démocratie.
Un film de José Vieira (52mn). Production : La Huit, Faux, France ô,
Téléssonne